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Ce livre est une commande. Peux-tu nous expliquer la genèse de son écriture ?
Les Inaperçus, la maison d’édition menée par Frédérique Breuil et Mathilde Levesque, m’a contactée en me présentant leur désir de ligne éditoriale. Mêler la photographie et la prose poétique. Ce qui me convenait plutôt très bien. J’avais écrit pour une revue l’année dernière une courte nouvelle consacrée à la folie et à la féminité et j’avais eu la sensation de ne pas avoir tout dit. J’ai voulu évoquer le délitement, la pourriture, l’héritage familial et la faute en approfondissant le sujet et en me confrontant à l’univers photographique d’un autre.
J’avais pour consigne de rendre un texte court et de travailler vite, ce qui était très nouveau pour moi puisque j’avais pris trois ans pour écrire “Cette bête que tu as sur la peau”. Le passage de la conception à la réalisation est toujours un peu terrible, j’étais une enfant dans un couloir sombre mais la maison d’édition m’a laissé une amplitude de pensées et de travail infiniment large et très bénéfique puisque depuis la rédaction de mon dernier roman jeunesse “Les nuits d’Ismaël”, j’étais bloquée dans l’écriture.
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Pourquoi est-ce que ton choix s’est naturellement porté vers Akin Cetin pour cette collaboration ?
J’avais repéré son travail photographique depuis plusieurs mois à travers son site, des groupes thématiques sur Flickr. C’est également un vidéaste. Ses vidéos sont heurtées, portées sur le féminin, morcelées, ralenties, montées à l’envers, j’avais été très marquée. Il a une sensibilité très forte sur le corps féminin, il se confronte au mystère d’un dos, d’une nuque, d’une gorge. Il a une approche fragmentée de son sujet, c’était à mes yeux un réservoir infini à fictions.
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Le choix d’un récit déstructuré et éclaté est un point commun majeur entre Immense et rouge et Cette bête que tu as sur la peau, publié l’an dernier aux Éditions du Chemin de fer. Peux-tu expliquer cette prédilection pour les formes courtes et morcelées ?
De mon point de vue, on écrit avec des choses que l’on ne comprend pas ou que l’on ignore et dont on a peur. J’explore à la fois un mystère et un désir d’utilité. Le fragment, le morceau, c’est ce qui me vient naturellement, j’ai la sensation de ne pas pouvoir faire autrement pour le moment. La forme courte, je l’associe à une sorte de flash photographique, un souvenir qui saigne et réapparaît, quelque chose de vrai ou de faux, peu importe. L’écriture parce qu’elle est minuscule me paraît aller vers l’essentiel, l’émotion pure. Le fragment, c’est faire tenir le texte en équilibre constamment. C’est donc le relier aux vertiges. J’aime beaucoup l’idée qu’un texte soit physique, un texte qui s’arrête en pleurant, qui se coupe, qui se tranche de lui-même.
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Les termes employés pour parler de ton écriture sont le plus souvent métaphoriques, comme le sont d’ailleurs les titres de tes deux romans. Que penses-tu de cette approche de ton style ?
Oui, elle est vraie. Je parlerais d’images plutôt que de métaphores. À mes yeux, elles constituent une lutte contre l’apparence et l’ordinaire. Une image, même si elle peut apparaître stérile pour tous sauf pour l’auteur qui l’utilise, est liée à une sorte d’honnêteté, de pureté. Il y a des associations entre deux mots, des couleurs qui relèvent de l’énigme et de la pureté, j’aime bien cette alchimie. On est au-delà de la définition ou de la description, on s’approche de la sensation.
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Le soupçon autobiographique – qui entourait déjà Cette bête que tu as sur la peau – est-il de ton point de vue nécessaire ou au contraire gênant pour aborder ton œuvre ?
Aborder mes textes via ce versant me gêne beaucoup, je ne me sens pas capable d’y répondre. Ce qui relève du vrai ou du faux ne regarde que l’auteur et doit échapper à l’interprétation ; tout ce que je sais et ce que je mesure, c’est ma tendance à confronter mes personnages à quelque chose de douloureux, d’implacable et d’irréversible. Je crois savoir pourquoi mais ça s’arrête là.